Sacha Sperling
Column 2
18-11-2011

J’ai mis un moment avant de réaliser que j’avais oublié ma valise. Et pour une raison mystérieuse, pendant un certain temps, je n’ai pas osé demander au taxi de faire demi tour. Plus je m’éloignais de chez moi, plus la situation devenait ridicule. Alors j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai tout avoué au chauffeur. Dix minutes plus tard, j’étais en route pour le Crossing Border festival. Sur le rétroviseur extérieur du taxi, on pouvait lire : Objects in the mirror are closer than they appear. Ca m’a fait rire un peu et je suis arrivé devant l’aéroport sans vraiment m’en apercevoir. J’ai toujours été nul pour les voyages. Incapable de lire correctement un panneau d’affichage. Le mec qui fume une cigarette sur le quai alors que le train repart, le mec qui sonne au portique de sécurité, le mec qui était pourtant certain d’avoir pris son passeport. Et bien, c’est moi.

A l’aéroport, on me parle du brouillard. Le brouillard est partout. A Paris, à Amsterdam. L’atmosphère humide empêche les monstres de fer de décoller. Poids lourd contre poids plume. C’est la panique dans l’aéroport. Tout le monde va quelque part. Personne n’a le temps d’attendre. Mon avion finit par quitter la France. Au dessus des nuages, il y a le soleil comme un impact de balle. Le sang coule le long de l’horizon. Derrière la brume, c’est la journée qui se termine.

Atterrissage, merci d’avoir choisi notre compagnie. Je suis déjà venu à Amsterdam. Je connais l’hospitalité hollandaise. Le drapeau est comme le français, mais à l’envers. Pas trop dépaysé, un peu quand même. Il fait déjà nuit. J’ai hâte qu’on me présente les autres écrivains, hâte de faire mon entrée sur le terrain. Et puis je les rencontre, dans une rue d’une ville que je ne connais pas. Ca me fait plaisir de voir qu’ils sont jeunes. D’autres vies, d’autres pays, d’autre destins, et pourtant, la même envie que moi. Ca veut dire qu’il y en a d’autres, ca veut dire que je ne suis pas tout seul. C’est moins intimidant. Je ne sais s’ils pensent la même chose. Respect mutuel, nous jouons dans la même équipe. Nos trajectoires doivent être différentes, mais je suis sûr qu’il y a quelque chose de commun entre nous. On n’écrit pas pour rien. Il faut être un peu fou, un peu seul, un peu rêveur, un peu tout ça. En tout cas, ils ont l’air sympathiques.

C’est en allant au concert, accompagné des autres que je commence à comprendre le principe du Crossing Border festival. Il y a les frontières que j’ai traversées ce matin, assis dans l’avion (la française, la belge…). Je ne m’en suis pas rendu compte. Aujourd’hui, on ne se rend plus compte que l’on passe une frontière. Ca va vite. Au dessus des nuages, on ne s’aperçoit de rien. Et puis, il existe d’autres frontières. Entre les langues, entre les arts… Et elles sont bien plus compliquées à traverser. Mais hier, en allant au concert, quelque part dans la Haye, on a rigolé, on a discuté. Hier soir, des trajectoires se sont rencontrées, nous faisant oublier à tous qu’il existe des borders. Il n’y avait plus que le festival.

Sacha Sperling
Epilogue
30-11-11

Je ne sais pas quel bilan tirer de l’expérience «  Crossing border festival ».

Doit on tirer un bilan de tout ce que l’on vit?

C’était étonnant, c’était rigolo, c’était sympathique. Il faisait froid. Ma chambre d’hôtel donnait sur une rue avec un tramway au milieu. Il y avait un Anglais, une Argentine et un Hollandais, et plein d’autre gens encore. Un théâtre mi rococo mi moderne, des groupes de rocks underground.

La journée, je me baladais dans les rues, et je regardais MTV. Un jour, je suis allé dans un centre commercial. J’ai acheté une casquette et un t-shirt. J’ai aussi acheté un pull vraiment cool. Gris, très doux, avec le dessin d’une plage violette et bleue dessus. Je n’arrête pas de le mettre depuis mon retour… C’est une information capitale pour la suite de mon épilogue…

Je suis allé dans une librairie. J’ai remarqué qu’en Hollande, les auteurs étaient souvent en photo sur la couverture de leurs livres. J’ai trouvé ça drôle. Je me suis rendu compte que mon visage était sur la couverture de la version hollandaise de mon livre. Ca m’a fait rire aussi. Sur les conseils d’une mère de famille à côté de qui je faisais la queue, j’ai bu un Fristi pour la première fois. C’était pas terrible, mais je lui a dit que j’aimais bien.

Le soir, j’ai lu des textes en français devant des gens qui ne comprenaient pas. J’ai fais ça deux fois. C’était un peu gênant. La deuxième fois, je devais être sous-titré, mais pour une raison qui m’a échappé, ça n’a pas été le cas. J’ai bu de la bière dans un gobelet en plastique. J’ai fait une interview en anglais.

J’ai dit au revoir à tout le monde. Il y avait de la brume et de la brume et de la brume.

Je ne sais pas quoi dire d’autre. Alors je vais m’arrêter là. Tant pis pour ceux qui attendaient la chute de l’histoire du pull gris vraiment cool.

La derniere nuit
20-11-11

A La Haye, la nuit, j’étais un cowboy qui flottait sur la lumière diffuse des réverbères. Il y avait des odeurs d’ozone et pas de trottoir. Il y avait des tramways, carcasses captives. Des bêtes de métal qui passaient et repassaient sans cesse. Qui faisaient trembler la terre.

Dans un théâtre rococo, j’ai écouté de la musique. Beaucoup de musique. Dans le théâtre rococo, j’ai lu des textes dans une langue que personne ne comprenait. Je me suis senti un peu ridicule. Mais c’était la règle du jeu.

Hier soir, dans la rue, j’ai vu le visage de mickey qui flottait dans les airs. C’était un ballon accroché à la branche d’un arbre, dégonflé, déformé par le vent.

Hier soir, en rentrant à l’hôtel, je me suis arrêté devant un restaurant. C’était un drôle de ballet devant mes yeux. Les silhouettes des serveurs qui passaient et repassaient sans fin derrière les baies vitrées. C’était la frénésie d’avant fermeture. Il était tard, et les silhouettes devaient retrouver leurs maisons, leurs familles, là, quelque part dans la nuit, quelque part dans cette ville que je ne connaissais toujours pas. L’intérieur du restaurant s’est éteint. On ne voyait plus rien d’autre que le néon rouge du panneau au dessus de la porte d’entrée. Enigmatique forme géométrique. Je suis rentré à l’hôtel.

Au milieu de la nuit, j’ai regardé par la fenêtre. La rue déserte. Spui. On aurait dit une route. J’entendais l’écho des voitures fantômes. J’ai regardé la lune (elle était rousse), et puis de nouveau la rue. Un camion est passé. Un camion énorme. Je n’ai pas eu le temps de lire l’inscription sur le côté. C’était un trente cinq tonne dont les phares projetaient une lumière féroce. Je ne pouvais pas détacher mon regard. Il avançait doucement à travers la brume. Comme en apesanteur. J’ai pensé à la route. Zone de passage. Non lieu. Désert organisé. La route qui donne le sentiment que les choses flottent. Qu’il est facile de flotter soi-même. La vitre du camion s’est ouverte. J’étais loin, mais je pouvais voir la fumée argentée s’échapper par la fenêtre. La cigarette du grand voyageur. Le routier est resté invisible à l’intérieur de son engin. Et j’ai imaginé la vie de ce mec. Chaque fois qu’il traverse une ville qu’il ne connaît pas, ou qu’il connaît trop. Chaque fois qu’il s’arrête sur une aire d’autoroute. Les matins café noir. Quand il s’arrête en plein voyage. J’ai regardé le camionneur jeter son mégot par la fenêtre. J’ai regardé la fraise incandescente sur le bitume. J’ai fermé les yeux. J’ai pensé à l’épopée de cet explorateur qui n’a plus rien à découvrir. Il a remonté sa vitre, et il a accéléré dans un grand bruit de poubelles renversées. Une dernière fois, j’ai vu la lumière féroce des phares.

C’était ma dernière nuit à La Haye.

En rentrant a l’hotel
19-11-11

En rentrant à l’hôtel, après le dernier concert, dans les rues tranquilles de La Haye, la brume est revenue. Elle enveloppe tout, comme dans  une ville fantôme d’un roman de Poe. J’ai fait ma lecture un peu plus tôt. Drôle de moment. Il y avait du monde. C’était la folie baroque du festival. Et maintenant, il n’y a plus que la brume et le silence. J’ai envie de regarder la ville. Il n’ y a personne dans la rue. Impression d’être le seul spectateur dans une salle de cinéma. Sur une grande place moderne derrière mon hôtel, il y a des skaters. Une petite bande, réunie malgré le froid, malgré la nuit. J’écoute le bruit des roulettes, le bruit des chutes. Les silhouettes se dessinent sur la pierre sombre. Allures d’allumette, blue jeans coupés droit, et puis des baskets de toutes les couleurs. Les planches semblent glisser, les chaussures lourdes flottent dans les airs. Les gosses exécutent leurs flips dangereux, leurs tricks suicidaires. Chaque fois que l’un d’entre eux tombe, j’ai l’impression d’être une nanny près d’un bac à sable. Ils osent les figures les plus délicates, ils les ratent souvent. Ils me semblent fragiles, un instant, je pense que quelque chose de grave va arriver, et qu’il est de mon devoir de garder un œil sur eux. Finalement, il ne se passe rien. Ils s’en vont tous en même temps. Je me sens un peu bête, alors décide de continuer ma route. Je ne suis pas loin de l’hôtel. Je vais rentrer sagement… Mais quelque chose m’intrigue de l’autre côté de la rue. Un petit magasin, ou plutôt, un bazar. Un de ces endroits qui ferment tard, qui sentent l’ambre et le détergent. Alors je m’approche. Un peu de lumière et me voilà, il ne m’en faut pas plus. Derrière la vitrine, il y a toutes sortes d’articles qui ont l’air d’être tombés d’un camion. Au milieu de cette pagaille disgracieuse trône un gigantesque poste de télévision. Je reste quelques instants surpris devant les dimensions de l’objet. Il me rappelle les téléviseurs des années quatre vingt dix. Les gros postes avec une bosse à l’arrière. A l’intérieur de la boutique, des voix couvrent les dernières notes d’une chanson. Ce qui m’a interpellé en passant devant le bazar, c’est d’abord cet écran d’un autre âge, et aussi l’image sur l’écran. Le générique de Knight Rider. Au milieu de la nuit, je regarde une voiture tracer un sillon de poussière à travers le désert teinté de pourpre. Sur l’écran, Michael Knight (le héros), évite les obstacles. Pour accélérer, il enclenche le turbo boost, et la voiture décolle à plus de 480 km/h dans un grand bruit de tonnerre. Je suis hypnotisé par la Pontiac Firebird. Je me souviens que cette même voiture a habité mes rêves de petit garçon, il n’y a pas si longtemps. Cette voiture fantasmée, fantôme de mon enfance,  je la retrouve ici, au cœur de la nuit, dans ce bazar de La Haye. Il y a partout des morceaux de nous, des échos que l’on n’aurait pas soupçonnés. Parfois, il faut partir loin de chez soi pour se retrouver. Au milieu de cette rue brumeuse, pendant un laps de temps que je ne saurais définir, j’ai huit ans. Et puis l’épisode commence, et je n’ai plus huit ans, et il fait vraiment froid. C’est l’hiver et je ne m’en étais pas aperçu. Je suis toujours le dernier au courant.

Column 2
18-11-11

J’ai mis un moment avant de réaliser que j’avais oublié ma valise. Et pour une raison mystérieuse, pendant un certain temps, je n’ai pas osé demander au taxi de faire demi tour. Plus je m’éloignais de chez moi, plus la situation devenait ridicule. Alors j’ai pris mon courage à deux mains, et j’ai tout avoué au chauffeur. Dix minutes plus tard, j’étais en route pour le Crossing Border festival. Sur le rétroviseur extérieur du taxi, on pouvait lire : Objects in the mirror are closer than they appear. Ca m’a fait rire un peu et je suis arrivé devant l’aéroport sans vraiment m’en apercevoir. J’ai toujours été nul pour les voyages. Incapable de lire correctement un panneau d’affichage. Le mec qui fume une cigarette sur le quai alors que le train repart, le mec qui sonne au portique de sécurité, le mec qui était pourtant certain d’avoir pris son passeport. Et bien, c’est moi.

A l’aéroport, on me parle du brouillard. Le brouillard est partout. A Paris, à Amsterdam. L’atmosphère humide empêche les monstres de fer de décoller. Poids lourd contre poids plume. C’est la panique dans l’aéroport. Tout le monde va quelque part. Personne n’a le temps d’attendre. Mon avion finit par quitter la France. Au dessus des nuages, il y a le soleil comme un impact de balle. Le sang coule le long de l’horizon. Derrière la brume, c’est la journée qui se termine.

Atterrissage, merci d’avoir choisi notre compagnie. Je suis déjà venu à Amsterdam. Je connais l’hospitalité hollandaise. Le drapeau est comme le français, mais à l’envers. Pas trop dépaysé, un peu quand même. Il fait déjà nuit. J’ai hâte qu’on me présente les autres écrivains, hâte de faire mon entrée sur le terrain. Et puis je les rencontre, dans une rue d’une ville que je ne connais pas. Ca me fait plaisir de voir qu’ils sont jeunes. D’autres vies, d’autres pays, d’autre destins, et pourtant, la même envie que moi. Ca veut dire qu’il y en a d’autres, ca veut dire que je ne suis pas tout seul. C’est moins intimidant. Je ne sais s’ils pensent la même chose. Respect mutuel, nous jouons dans la même équipe. Nos trajectoires doivent être différentes, mais je suis sûr qu’il y a quelque chose de commun entre nous. On n’écrit pas pour rien. Il faut être un peu fou, un peu seul, un peu rêveur, un peu tout ça. En tout cas, ils ont l’air sympathiques.

C’est en allant au concert, accompagné des autres que je commence à comprendre le principe du Crossing Border festival. Il y a les frontières que j’ai traversées ce matin, assis dans l’avion (la française, la belge…). Je ne m’en suis pas rendu compte. Aujourd’hui, on ne se rend plus compte que l’on passe une frontière. Ca va vite. Au dessus des nuages, on ne s’aperçoit de rien. Et puis, il existe d’autres frontières. Entre les langues, entre les arts… Et elles sont bien plus compliquées à traverser. Mais hier, en allant au concert, quelque part dans la Haye, on a rigolé, on a discuté. Hier soir, des trajectoires se sont rencontrées, nous faisant oublier à tous qu’il existe des borders. Il n’y avait plus que le festival.

Prologue
07-11-11

Il faut que j’écrive un prologue. Un court texte qui parlerait du voyage que je m’apprête à faire aux Pays bas. Mais voilà, les textes les plus courts sont parfois les plus compliqués à écrire. Alors, il y a quelques règles de bases à respecter : rester simple, parler de l’excitation, de l’appréhension, de la joie.  Essayer de paraître sincère, un peu talentueux, et puis drôle aussi, parce qu’il ne faudrait pas être triste. On m’a simplement expliqué que ce texte serait traduit, puis lu devant un public, en ma présence. Et moi, assis à mon bureau, je pense que je n’ai rien à dire. Je pense aussi qu’il n’y a pas grand chose que je déteste plus qu’un écrivain qui parle de son incapacité à écrire et qui, forcement, finit quand même par écrire quelque chose. C’est une posture plus usée encore que les revêtements synthétiques des sièges du Thalys. C’est ce que je suis en train de faire. Mais c’est l’exercice qui veut cela. Bon. Ceci étant dit, ça ne vient toujours pas. Et je ne vais tout de même pas construire mon texte simplement sur des digressions. Ça finit toujours par se voir. Bientôt, je serai assis sur une scène, ou ailleurs, quelqu’un lira ces mots, et je ne comprendrai pas. Je me rappellerai ces moments où j’étais assis à mon bureau, où je pensais que l’inspiration ne viendrait pas. Des digressions, même dans une langue qu’on ne connaît pas, ca reste de l’esbroufe. Et ca ne fait pas très sérieux. Alors, cette fois, je m’y mets pour de bon. Cette fois, je trouve quelque chose à dire. Alors… voyons… allez, c’est quand même pas si difficile !  Ecrire, ce n’est pas très compliqué ! On n’invente rien. Les mots sont là, ils existent bien avant nous. Il suffit de les agencer avec goût. Comme on ferait un bouquet de fleurs. Les mots, il faut les trouver, et puis il faut leur rendre justice. Quand on les brusque, ils nous trahissent. Alors il faut être « fair play ».  Et moi, j’ai de la chance, les mots ont toujours répondu à l’appel quand j’ai eu besoin d’eux. Ils m’ont accompagné comme une armée de l’ombre. Ils ont matérialisé mes désirs, mes peurs, mes rêves. Ils m’ont entrainé bien plus loin que je n’aurais pensé,  ouvrant d’immenses perspectives là où je voyais l’horizon bouché. Ils m’ont permis de figer quelque part la beauté de la Seine, de Paris en noir et blanc. Ils m’ont façonné doucement, à mon insu… Aujourd’hui, les mots sont devenus mon passeport. Ils continuent de m’accompagner, de frontière en frontière. Et c’est peut-être de cela dont je devrais parler. De la chance extraordinaire que j’ai eu de pouvoir regarder mon livre voyager, se transformer. Cette petite histoire sur laquelle j’avais travaillé seul, dans l’intimité de ma chambre d’adolescent, avec l’assiduité d’un mécano sur son moteur. Mon livre,  mon premier livre. Cette histoire qui n’était rien qu’à moi, eh bien, elle se raconte aujourd’hui dans des langues que je ne comprends pas. Et c’est incroyable quand j’y pense.