Le train pour La Haye se remplit de voyageurs. Je viens de quitter la foire du livre d’Anvers. Comme toujours après un rassemblement de masse, je suis frappée par l’existence d’un monde extérieur : il y a donc des gens qui ne veulent pas se retrouver au même endroit. Comme s’ils étaient en dehors du rassemblement, comme s’ils le laissaient passer, sans avoir l’impression de rater quelques chose.
Un homme tiré à quatre épingles vient s’asseoir à côté de moi. Un badge vierge scintille à hauteur de sa poitrine. Impossible de savoir s’il va quelque part, où s’il en revient. Cet homme ne doit-il pas se rendre à la foire du livre ? Peut-être se demande-t-il la même chose à mon sujet ; peut-être revient-il de l’enterrement d’un ami, d’un meeting crucial, d’une salle de conférence, d’une réunion. Peut-être vient-il de participer à un tout autre évènement, dont je ne suis pas au courant.
Pendant une demi-heure, nous voyageons ensemble : l’homme, moi et tous les autres. Nous partageons le wagon, à peine séparés par le couloir, les accoudoirs en plastique et la dame qui va et vient en vendant des snacks et des boissons chaudes.
Passés Anvers, nous formons un nouvel ensemble : des gens livrés aux mêmes forces, au mêmes virages. Lorsque le train freine, nous nous inclinons vers l’avant puis vers l’arrière dans une synchronie parfaite : une chorégraphie qui, en d’autres occasions, exigerait de longues répétitions.
Si on pouvait esquisser une vue aérienne de notre manège de voyageurs, en marquant chaque sillage d’un trait au crayon, on arriverait à un arbre dénudé. D’Anvers à Roosendaal, nous sommes tous unis, notre mouvement produit une grande quantité de lignes, un tronc solide. Mais à la première station, nos chemins bifurquent, nous nous ramifions.
Je suivrai le mouvement environ jusqu’à la cime. A La Haye, j’abandonnerai le wagon pour devenir une branche, ou plutôt un rameau. Zigzagant dans les rues, valise à la main, je partirai à la recherche de l’hôtel qu’on m’a désigné. Le soir, nous nous rassemblerons pour le repas. Entre Roosendaal et La Haye, le train traverse les prairies que j’ai si souvent vues défiler, toujours en prévision de spectacles et de conversations avec d’autres écrivains. A présent, j’observe le sympathique épouvantail. Il se tient là, hardiment, les bras en l’air, un sac en plastique en guise de veste. Il ne va nulle part ; il n’est attendu nulle part. Parfois, quand le vent se calme, des oiseaux se posent sur ses épaules.