Le Robocobra Quartet est composé d’un bassiste, d’un saxophoniste, d’un clarinettiste et d’un batteur.
La batterie occupe plutôt de la place, comme le batteur.
Il chantait –
Non, il criait – il poussait des petits cris, parfois dans le microphone, parfois à côté.
Non il jouait – ou est-ce qu’on pourrait parler de performance ? Il s’est levé plusieurs fois, s’éloignant de sa batterie (!!)
Ou plutôt, il faisait des plaisanteries –
Mais il respirait aussi (il respirait comme savent le faire les danseurs – de manière maîtrisée/admirable !!).
Quoi qu’il en soit : il était là.
Et la musique était là.
Et je ne pouvais pas situer cette musique, mais je n’arrêtais pas de penser à l’œuvre d’Ingrid Jonker. Pas à une phrase précise ou à un poème, mais à sa biographie dans son ensemble, au film Black Butterflies, à sa correspondance avec André Brink, aux histoires qu’on raconte sur elle.
Le batteur avait une certaine forme d’attention –
Une concentration –
Une ferveur –
(Est-ce qu’on dit ça comme ça ? Est-ce qu’on peut porter de la ferveur en soi ?) Dans ce cas, c’est ce qu’il faisait.
Cette énergie dans son corps –
Ça –
Me rappelait Jonker.
« People don’t know what we do, are sometimes confused: « Is it jazz or not? » They’re confused, we’re confused, everyone is confused », disait le batteur en entamant la chanson suivante.
Et je me disais: OUI !
Ne surtout pas parler de son travail.
Ne pas expliquer, ne le fais pas, s’il te plaît –
Fatma Aydemir (lisez sa 3e chronique) a dit: « On te posera toujours des questions. »
C’est ce que je pense aussi –
Ou plutôt, voilà une chose qui est certaine.
Les questions – je préfère les poser moi-même.
Répondre aux questions pour se positionner – c’est difficile.
(Après chaque interview, j’ai des regrets: si seulement je n’avais pas – Ou : si seulement j’avais dit ça.)
Répondre aux questions pour clarifier son œuvre – c’est tout aussi difficile.
« On ne vit plus à une époque où l’on peut laisser son œuvre parler d’elle-même, » dit-on souvent.
C’est peut-être vrai. Et j’ai peut-être une idée trop romantique de l’art.
Mais est-ce que ce n’est pas comme les recueils de nouvelles ? On dit que ça ne se vend pas.
Mais –
Et puis merde.
Ça ne signifie tout de même pas qu’on n’a plus le droit d’écrire des recueils de nouvelles ?
Dans ce cas, l’art devient – en simplifiant – une question d’argent.
Donc –
Si l’œuvre, quelle qu’elle soit, est là, alors elle est là.
On peut en parler, on peut boire un verre de vin en sa compagnie, on peut parler de chiffres de ventes, on peut la commenter –
Mais en regardant le Robocobra Quartet, j’étais sûre que ce qui compte pour moi c’est cette énergie, cette ferveur, cette concentration que je ressens en créant.
Et que je reconnais donc parfois dans l’œuvre de quelqu’un d’autre.
Je veux dire, le temps qu’il me faut pour expliquer mon œuvre, j’aurais pu le passer à écrire cinq cent nouveaux mots.
À chaque question sur l’écriture, je me dis : Eh ! Je ne ferais pas mieux d’aller écrire un peu ?
Ou si j’allais à un concert – au lieu de répondre à la question.
Ou si je lisais un livre ?
Ou si j’allais voir une pièce de théâtre ?
Ou si je passais une soirée avec un autre écrivain (parler avec d’autres écrivains est ce qu’il y a de plus chouette et de plus difficile, je trouve) ?
Je ne vais donc pas essayer d’expliquer la musique du Robocobra Quartet. Parce que je sais que je ne vais jamais y arriver, mais aussi parce que je n’en ai pas envie (vous n’avez qu’à aller les voir jouer), tout ce que je sais, c’est que comme ces quatre musiciens et Jonker (ce ne sont pas les seuls créateurs que j’admire, bien sûr), je ne veux pas passer autant de temps à bavasser, mais je veux surtout continuer à créer, parce que c’est la seule chose qui compte.