Tu n’as pas envie d’être dans un lieu où la seule chose qui compte est de « s’amuser ».
Tu considères que « s’amuser » est une forme de pourrissement. Une moisissure qui entraîne la dégénérescence.
Tu n’aimes pas ces quantités démesurées. Comme s’il y avait toujours quelque chose à remplir.
Tu détestes choisir, d’autant plus que tu as l’impression que les plages horaires te forcent à prendre conscience d’un certain vide, d’un manque.
Cette myriade de lieux te met mal à l’aise, tu préfères rester au même endroit, ça évite de te prendre la tête avec ton manteau, l’enlever, le remettre, tout ça.
Tu dépenses de préférence le moins d’argent possible en une journée, tu méprises l’idée que la consommation va de soi.
Tu n’aimes pas les grands noms, l’attirance qu’exercent les grands noms sur les foules.
Tu ne veux pas te fondre dans cette masse humaine.
Tu t’ennuies assez vite, tu n’as même pas la patience d’écouter un artiste pendant toute la durée de son concert. Tu pourrais quitter la salle au milieu de la représentation. Assister à une conférence, une interview, ou manger un morceau. Tu vas me dire qu’on trouve à manger partout : que ce soit un truc végétarien qui ressemble à de la viande ou un truc véganiste qui ressemble à de la viande.
Après avoir mangé tu peux faire un tour au coin détente, ou au coin de dédicace, ou dans un endroit où faire des achats. Oui, on a pensé à toutes tes impulsions réprimées.
Tu n’aimes pas l’alcool : tu vas à un festival, tu bois, tu oublies la moitié, cela n’en valait pas la peine ? Évidemment, tu pourrais t’arrêter au bout d’un verre, mais ce n’est pas ton genre : c’est trois bouteilles de vin ou rien.
Non, tu serais mieux chez toi avec un bon bouquin ou un journal.
Ça fait voyager aussi.
Tu n’es au festival que depuis quatre heures mais tu as déjà vu plusieurs conférenciers et musiciens. L’un des auteurs se produisait dans une salle comble.
Tu trouves ça beau, extraordinaire que quelqu’un qui écrit des livres attire un si grand public. Après sa présentation, tu as acheté son livre et demandé une dédicace. Dans un élan d’enthousiasme, tu as aussi acheté un sac en lin, un carnet de notes, une tasse avec le nom du festival, le disque d’un musicien, un aimant pour ton frigo et trois autres bouquins.
Sois honnête, tu n’as encore rien vu jusqu’au bout, mais qu’est-ce que ça peut faire ? Ça explique ces chevauchements dans le programme !
Heureusement que les organisateurs pensent aux gens comme toi.
Tu trouves ça chouette que chaque représentation soit dans un autre endroit… non tu trouves ça formidable. Ça te permet de prendre l’air en chemin, de digérer ce que tu as vu ou entendu.
Tu arrives tout juste du coin détente après avoir mangé un sandwich aux falafels et bois ton cinquième verre de vin blanc sec.
Avec ta copine (que tu avais d’ailleurs perdue de vue toute la soirée), tu te retrouves au premier rang du concert de Pink Oculus, tu ne connaissais pas encore cette belle personne, mais tu sais qu’en rentrant, tu écouteras sa musique en boucle pendant des semaines.
Tu fais partie d’un groupe, un groupe qui passe du bon temps, qui s’amuse.
Tu te sens bien, entourée de toute cette chaleur humaine. L’odeur de fumée, de bière et de transpiration, les gens qui dansent autour de toi.
Tu te laisses emporter par l’énergie du public et de l’artiste en question.
Tu bouges au rythme de la musique. En plus, il y a un after party.
Tu ne veux pas que cette soirée se termine.
Oui, tu te laisses aller (pour une fois, enfin).